🌊 Reculer face aux vagues

Face à la montée des risques sur le littoral, l’idée de l’ouvrage insubmersible ne tient plus. Dans certains secteurs, il va falloir laisser la place aux vagues. C’est le « recul stratégique » dont parlent nombre de Powerpoints, mais qui reste un concept théorique dans la plupart des territoires.
Pourtant certains se frottent au réel, c’est le cas de l’agence des 50 pas géométriques de Guadeloupe. Le littoral y est déjà soumis à des risques naturels importants et parfois imminents sans même attendre les impacts du réchauffement climatique. À Petit-Bourg par exemple, le péril est imminent, avec une falaise qui s’effondre et menace plusieurs dizaines de maisons. Il a pourtant fallu plus de dix ans de travail pour déplacer vers l’intérieur des terres une trentaine de ménages, et l’opération n’est pas encore achevée. C’est un travail long et complexe, car fondamentalement humain. Les enjeux juridiques et financiers sont finalement limités, les questions techniques largement maîtrisables, mais comment inciter ces ménages qui vivent avec le risque depuis longtemps à quitter leur maison de famille et la vue sur mer ? Il faut prendre le temps du dialogue malgré l’imminence du péril, et déployer un vrai savoir-faire pour aligner les regards de chacun, faire prendre conscience du risque, trouver des solutions de relogement et imaginer un devenir au site qui fasse consensus avec ceux qui partent comme ceux qui restent. Mais s’il y a beaucoup à apprendre de cette expérience, émerge aussi l’idée que chaque territoire devra trouver sa voie propre pour engager le recul stratégique.
Si on quitte la Guadeloupe pour élargir le regard aux littoraux menacés, on constate que si les enjeux juridiques et financiers ne sont pas anecdotiques, ils masquent aussi d’autres aspects structurants. D’abord, une mauvaise volonté légitime à quitter des lieux fortement générateurs d’attachements. Ensuite, une forme d’optimisme béat sur l’horizon temporel du risque, qui se reflète dans la valorisation financière importante de biens immobiliers pourtant menacés à court terme. Et enfin, le refus de beaucoup d’élus d’endosser le rôle du porteur de mauvaise nouvelle, et il faut bien faire le constat qu’il n’y a rien à gagner à forcer des gens à déménager.
Impossible de renoncer à traiter les périls imminents, mais il va nous falloir aussi assumer qu’il n’y aura pas de retrait massif planifié avant que la vague ne touche le littoral, au propre comme au figuré. Il faut accepter que le facteur humain soit au cœur du processus, la trajectoire sera donc chaotique et parsemée de crises, l’important étant désormais de n’en gâcher aucune. Il faut s’y préparer, en anticipant les plans de l’après comme en ouvrant des espaces de débat démocratique locaux sur nos vulnérabilités, pour que la catastrophe devienne le signal attendu du mouvement et l’occasion d’une accélération de l’adaptation.
Je vous laisse écouter cette semaine le retour d’expérience de Claire Escoute, qui nous raconte le travail réalisé par l’Agence des 50 pas géométriques de la Guadeloupe à Petit-Bourg.
— Sylvain Grisot (LinkedIn)
PS : Sur ce sujet, vous pouvez aussi lire mon article dans la dernière édition de la revue DARD/DARD : Affronter les futurs inconfortables des territoires menacés

📅 Du 14 au 16 juin festival les palourdes. L’association Hameaux Légers organise la troisième édition du festival de l’habitat alternatif : les Palourdes, à Saint-André-des-Eaux dans les Côtes d’Armor. Au programme de ce weekend riche en animation : des tables-rondes, des conférences, mais aussi des ateliers, des visites, des spectacles et des concerts. (Information et billetterie)
📜 Réglementation. Le 22 mai, les nouvelles orientation gouvernementales en aménagement du territoire (OGAT) ont été adoptées au Québec. Ces orientations, sont au nombre de neuf, s’inscrivent dans le cadre de la Loi sur l’Aménagement et l’Urbanisme et sont issues d’une consultation de 300 personnes et organismes. Le but de ces orientations est de permettre l’adaptation des territoires aux changements climatiques, de respecter davantage les écosystèmes tout en répondant aux besoins actuels et futurs de la population. Pour cela les municipalités régionales de comté doivent réaliser des diagnostics sur chacune des 9 orientations, pour se fixer des objectifs qui feront l’objet d’une évaluation constante. Trois mesures sont à retenir de ces OGAT, la première est de diminuer la dépendance à la voiture en développant les mobilités actives et les réseaux de transports en commun. La seconde consiste en l’obligation de densifier les espaces bâtis, la construction en extension devra être justifiée et fera l’objet de dérogation. Enfin, la dernière mesure concerne la protection des milieux naturels, notamment les espaces forestiers, mais aussi les zones inondables et à risque de glissement de terrain qui ne pourront être construite que s’il n’y a pas d’autre espace disponible ailleurs. (radio Canada)
👟 Piétonnisation des centres-villes. De nombreuses villes françaises ont engagés des démarches d’apaisement de leur centre, et de ce fait réduisent l’accès automobile, ce qui inquiète les commerçants des centres-villes. En effet, ceux-ci craignent qu’en réduisant la place de la voiture, leurs clients se dirigent vers les commerces de périphérie plus accessibles ou se mettent à acheter en ligne. Mais cette crainte n’est pas fondée, car la majorité des clients des commerce de centre-ville n’utilisent pas la voiture pour s’y rendre, privilégiant la marche, le vélo ou les transports en commun. Des études faites dans des villes françaises et européennes de taille différente, montrent que la piétonnisation des centres-villes a tendance à augmenter la fréquentation et le chiffre d’affaire des commerçants. (the conversation)
📙 Le temps des liens par Martin Vanier, Editions de l’aube 2024. Encore un bouquin sur les fractures, mais celui-ci en décalage du discours ambiant et en fait une critique minutieuse. L’idée de Martin Vanier n’est pas de nier l’existence de ruptures d’égalité sociales et territoriales, mais de montrer que cette clé de lecture systématique ne permet pas de lire les réalités des territoires dans leur profondeur, et encore moins de faire émerger des pistes d’actions. Il tisse donc ce petit essai très accessible autour du concept de “reliance”, qu’il articule à la question territoriale autour de trois figures : lignes de vie, archipels et les communs territorialisés. Un texte utile qui ouvre des pistes politiques à suivre pour renouveler les visions et modes d’action des acteurs locaux comme nationaux.

