👀 Chacun cherche sa friche

👀 Chacun cherche sa friche

La ville a toujours été parsemée d’espaces délaissés, dans son cœur comme dans ses franges. Ruines, espaces vacants, bords de routes, friches… C’est la face obscure de la ville. Parfois on ne voit qu’elle, car elle fait tache dans le paysage. Parfois on feint de l’ignorer, mais elle est toujours là. La friche, plus qu’un espace délaissé, est un temps mort. Un arrêt accidentel de la grande boucle du recyclage permanent de la ville, dont témoignent les strates archéologiques accumulées sous nos pieds.

Mais depuis un petit demi-siècle, les friches pullulent. La faute à une fabrique de la ville qui a mis en pratique les préceptes de l’obsolescence programmée à grande échelle. La recette est simple : construire du neuf sur des terres agricoles dès qu’un nouveau besoin émerge, suroptimiser les projets pour en réduire les coûts et les rendre inadaptables, puis abandonner l’ensemble dès que les besoins évoluent. Et recommencer. À penser le tissu urbain et le bâti comme de vulgaires gobelets en plastique, on multiplie les magasins de meuble abandonnés en entrée de bourg, les friches perdues dans les zones d’activité, les logements poussiéreux oubliés aux étages des commerces, les parkings inexorablement vides et les immeubles zombies qui attendent l’annonce officielle de leur fin de vie… Autant d’espaces qui n’ont longtemps intéressé qu’une poignée d’urbanistes férus de "construction de la ville sur la ville", dont on parle depuis vingt ans, mais que l’on pratique fort peu. Et quelques passionnés d’urbex.

Mais voilà, tout a changé. Avec la pandémie, les ruptures d’approvisionnement, les inondations, les coups de chaud, les pénuries d’eau, nous prenons violemment conscience de nos fragilités. Avec la loi "Climat Résilience" et la fameuse ZAN, le contexte réglementaire s’adapte aussi à ce monde incertain, en calmant la faim de terre de la fabrique de la ville. Et soudain les regards changent, et chacun cherche sa friche. Le sale, le pollué, le marginal et le cher ont tout à coup bonne presse. Atlas des friches et observatoires fonciers éclosent ici et là, et les dispositifs de recyclage urbains péniblement mis en place par les plus clairvoyants sont désormais sur toutes les lèvres.

Tout cela est évidemment parfait, car le changement de pratiques ne pourra s’engager sans un regard neuf et bienveillant porté au déjà là. Mais ne nous leurrons pas, réactiver des sols urbains délaissés est une tâche longue et complexe, qui nécessite des compétences et des outils différents de ceux que l’on a développés pour faire la ville facile. Il en faudra du temps pour forger les outils et apprendre à les manier. Même les friches auront leur "cycle du hype", les attentes exagérées laissant la place aux désillusions, avant d’arriver à enfin trouver la voie de modes de recyclages urbains capables de passer à l’échelle.

Et puis, après avoir longtemps considéré le sol agricole comme une terra incognita destinée à être colonisée par l’avancée de la ville, il ne faudrait pas non plus considérer que tout vide urbain a vocation à être comblé par des tonnes de béton. Les espaces et les temps morts de la ville peuvent aussi devenir des lieux de production alimentaire, de renaturation, de ralentissement ou de résilience, pour nous comme pour les non-humains. Nous en avons tous besoin.

— Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)

Aujourd'hui, on vous embarque pour deux visites guidées dans Montréal. La première est un projet d'urbanisme transitoire, l'Espace Ville Autrement, qui se veut un lieu ouvert sur les nouvelles façons de fabriquer et d’habiter la ville.

La deuxième vous amène au 505 Maisonneuve Est, un projet qui démarre tout juste dans une ancienne gare de bus, où un potager et une entreprise de livraison à vélo s'installent.

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📅 Jusqu’au 23 avril 2023, retrouvez toutes une série de conférences dans le cadre d’un grand séminaire sur le métabolisme social. (Université de la Sorbonne)

🚗. Norme vs réalité. Enquête sur les normes bas carbone mises en place dans les plans mobilité et les pratiques informelles pour les contourner (même pas consciemment). Ces normes sont à destination des entreprises et des institutions publiques afin de baisser leurs émissions de CO2. Elles ont beau exister, personne ne les respecte, même pas les services de l’Etat. Plutôt que de déplorer que personne ne fasse rien, le mieux serait de prendre la mesure de ce jeu d’acteurs. Et comme ce n’est pas la voiture électrique, ni hydrogène, qui va changer le monde, plaçons nos efforts dans des changements de pratiques collectives et individuelles inspirées de l’urbanisme tactique, plutôt que via des normes surplombantes. (Métropolitiques)

🪶Biomimétisme. Sortie d’un nouveau guide de l’ADEME pour s'inspirer du vivant dans la transition écologique des bâtiments. Une sélection de projets innovants utilisant la démarche de biomimétisme afin de trouver des solutions concrètes à des problématiques techniques, écologiques et énergétiques. L’occasion aussi de réécouter notre podcast avec Emmanuel Delannoy. (ADEME)

👣 Marcher en ville. Ca y est, le nouveau questionnaire pour le baromètre des villes marchables vient de sortir ! Vous avez jusqu’au 1er février pour témoigner de l’état de votre ville et de votre territoire sur la question. N’hésitez pas à répondre, c’est grâce à ces connaissances participatives que ce font les propositions les plus adaptées ! (Baromètre villes marchables)

📖 Le maire qui aimait les arbres, Jean Chalendas (Acte Sud 2017). C’est une petite nouvelle inspirante, comme une belle tentative de ramener en ville L"homme qui plantait des arbres" de Jean Giono. C’est ici un Maire qui transforme sa ville en y plantant des arbres, lentement, mais partout. Il plante des arbres sur les délaissés routiers, les places de parking, les carrefours, les places, le bord des chemins, des canaux, les communes voisines, des régions entières. Un récit pour les faiseuses et faiseurs de villes, qui comprennent que l’arbre sert à bien d’autres choses qu’à simplement décorer nos rues :

Alors il parla longuement. Des arbres. De la fraîcheur particulière, incomparable, de leur ombre qui, dispersant de l'humidité, produit une véritable climatisation naturelle, précieuse pour adoucir les torrides étés provençaux sans qu'il soit besoin pour cela de brûler du pétrole. De leur capacité à capter dans les sols cette même humidité, qui assainit les maisons. Du carbone lentement stocké dans le bois, des polluants immédiatement absorbés et recyclés dans les feuilles, qui corrigent un peu les conséquences des frénésies des hommes, préservant l'air de la planète entière, purifiant aussi celui de la ruelle. De l’écran végétal qui protège l'intimité des maisons en vis-à-vis, quand l'été fait ouvrir les fenêtres, que la tradition locale prive de rideaux. De la vie sauvage qui colonise les hautes ramures, insufflant un peu de nature à la ville qui en manque. Des branches qui bougent les jours de vent, du repère des saisons donné par les états du feuillage, qui permettent aux urbains de reprendre pied dans la perception d'un temps cyclique qui est naturellement le leur.

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