đłïž Faut-il pousser Airbnb hors de nos villes ?
Tenter de résoudre la crise du logement, c'est déjà essayer de ne plus en perdre.

Pas besoin de revenir sur la crise du logement qui sĂ©vit en France. La Fondation pour le logement estime Ă 4,1 millions le nombre de personnes en situation de mal logements ou dans des conditions difficiles en 2025. Pour rĂ©pondre Ă cette crise, beaucoup appellent Ă relancer la construction neuve. Une part est sans doute nĂ©cessaire, bien quâil faille discuter de quâest-ce quâon construit et Ă quel endroit. Mais avant tout, si on rĂ©flĂ©chissait Ă ne plus en perdreâ?
Les fuites sont plus ou moins identifiĂ©es : il y a la vacance structurelle, les dĂ©molitions Ă©vitables, la multiplication des rĂ©sidences secondaires⊠mais aussi la transformation de certains logements principaux en locations touristiques, grĂące aux plateformes comme Airbnb (leader du marchĂ©) qui permet Ă nâimporte quel propriĂ©taire de se transformer en gĂ©rant dâhĂŽtel. Ces locations de courte durĂ©e entre particuliers ont explosĂ© ces derniĂšres annĂ©es : les logements entiers mis en location touristique sont passĂ©s de moins de 400â000 en 2016 Ă plus de 1 million en 2025. En soi la location touristique nâest pas en elle-mĂȘme un problĂšme. Elle le devient quand elle se fait au dĂ©triment de lâoffre de logements dans les territoires sous tension.
Airbnb : cÎté pile et cÎté face
Airbnb a deux visages, câest lâhistoire que lâon racontait dans un vieil article de cette newsletter. Le premier visage dâAirbnb est celui du loueur occasionnel, qui quitte son appartement quelques weekends par an et en profite pour accueillir un couple de touristes allemands amateurs de cafĂ©s croissants en terrasse. Câest une Ă©lĂ©gante intensification dâusage dâun bien (voir le chapitre 2 de «âRedirection urbaineâ»). Dans certains secteurs en gentrification, les revenus complĂ©mentaires obtenus grĂące Ă ce «âpetit extraâ» peuvent mĂȘme permettre Ă des mĂ©nages modestes de demeurer dans des villes autrement inabordables. Ces locations de rĂ©sidences principales reprĂ©sentent 43 % des annonces selon les dĂ©clarations dâAirbnb (rapport FNAU). Dans les zones plus rurales, avec peu de solutions dâhĂ©bergements touristiques, ces locations saisonniĂšres peuvent ramener de lâactivitĂ© Ă©conomique dans le territoire et constituer des formes de diversification des revenus intĂ©ressantes pour les mĂ©nages.
Mais câest lâautre visage dâAirbnb qui prend dĂ©sormais le plus dâimportance. Câest celui qui ne porte plus sur des locations occasionnelles de rĂ©sidences principales, mais des logements dĂ©diĂ©s Ă lâaccueil touristique, qui pose question dans les territoires sous tension. Ce sont des logements, voire des immeubles entiers qui nâaccueillent plus dâhabitants permanents. Ă Marseille, les halls dâimmeubles rivalisent avec le Pont des Arts en nombre de boitiers cadenassĂ©s. Ces petites boites noires et la sous-traitance du mĂ©nage permet aux propriĂ©taires de gĂ©rer Ă distance plusieurs logements Ă la fois, et de professionnaliser cette activitĂ© qui nâa plus rien de complĂ©mentaire. Rien de surprenant, quand on constate que la rentabilitĂ© de cette activitĂ© est 2 Ă 3 fois plus rentable quâun bail classique (rapport Auran). Ces «âmultipropriĂ©tairesâ» qui gĂšrent Ă distance sont loin dâĂȘtre une exception. Ă Paris, 33 % des loueurs mettent en ligne plusieurs annonces, avec un record dĂ©tenu par «âMatthewâ» avec ses 396 logements dĂ©diĂ©s Ă la location touristique (InsideAirbnb).
Les plateformes ne crĂ©ent pas la crise du logement, mais elles lâamplifient parfois considĂ©rablement. Dans les territoires tendus, chaque nouveau logement mis en ligne est un logement du parc locatif privĂ© de moins pour les habitants. Les principales victimes sont les Ă©tudiants et jeunes actifs, car leurs petits logements locatifs de centre villes intĂ©ressent aussi les touristes. La forte rentabilitĂ© des locations saisonniĂšres incite mĂȘme Ă la construction de nouveaux logements spĂ©cifiquement destinĂ©s Ă la location de courte durĂ©e, notamment sur les zones littorales (Cahiers de recherches de la Caisse des DĂ©pĂŽts). Elle alimente aussi en ricochet la spĂ©culation fonciĂšre (+30 % du prix du mĂštre carrĂ© Ă Chamonix dans les cinq derniĂšres annĂ©es).
Cartographier les impacts
Les premiers territoires mis en difficultĂ© sont Ă©videmment les zones touristiques, notamment ceux Ă tourisme saisonnier (balnĂ©aire ou hivernal). Le Var, la Haute-Savoie, les PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques, par exemple, se peuplent de touristes Ă la belle saison grĂące aux meublĂ©s touristiques, mais les rues sont vides le reste de lâannĂ©e. Les prix des logements, eux, ne descendent pas et font fuir les habitants, avec des pertes de recettes fiscales pour les collectivitĂ©s et des difficultĂ©s Ă recruter pour les employeurs. Câest donc toute lâĂ©conomie du territoire qui est fragilisĂ©e. Parfois, cette «âlutte des placesâ» prend aussi une tournure identitaire, comme au Pays basque ou en Bretagne. Ă Nice, la collectivitĂ© a imaginĂ© un dispositif de location alternant touristes et Ă©tudiants. Les propriĂ©taires louent de septembre Ă mai Ă des Ă©tudiants sous plafond de revenus, et accueillent des touristes sur les trois mois restants.

Autre cas : les rĂ©gions touristiques oĂč il nây a plus de saison et qui restent attractives toute lâannĂ©e. Comme Paris, Bordeaux, Nice, Strasbourg ou Lille. On peut rapporter le nombre dâannonces actives au nombre total de rĂ©sidences principales sur ces mĂ©tropoles pour Ă©valuer la pression dâAirbnb sur le marchĂ© rĂ©sidentiel. Ce ratio est de 7,4 % Ă Nice, 4,4 % dans la capitale et 3,7 % Ă Bordeaux. MĂȘme Ă Nantes, oĂč ce taux est beaucoup plus faible (de 1,5 %) lâagence dâurbanisme AURAN compte tout de mĂȘme plus de 1â500 logements entiers disponibles en location touristique en plein hiver, alors que la pĂ©nurie est telle que certains Ă©tudiants dorment au camping ou dans des mobile homes.
David contre Goliath
Alors, comment arrĂȘter lâhĂ©morragieâ? Les moyens de rĂ©guler existent, et ils sont dans les mains des communes.
Trop souvent, lâaccent est mis sur la durĂ©e de mise en location : on limite Ă 120, voire 90 le nombre de jours pendant lesquels un bien peut ĂȘtre louĂ© sur les plateformes chaque annĂ©e. Câest difficile politiquement, car on sâattaque Ă un business dĂ©jĂ en place. En plus, la mise en application de ces rĂ©glementations est dĂ©pendante du bon vouloir des plateformes, qui bizarrement, ne sont pas rapides Ă les mettre en Ćuvre : rĂ©tention de donnĂ©es, exigence dâun numĂ©ro dâenregistrement trĂšs relative, dĂ©lais de blocage des annonces⊠Tenter de vraiment rĂ©guler la durĂ©e de location est donc difficile, mais câest surtout trop tard.
Câest Ă la racine du problĂšme quâil faut sâattaquer, en ralentissant le flux de logements qui passent dâun usage de rĂ©sidence principale Ă un statut dâhĂ©bergement touristique. Pour cela, les communes peuvent exiger une dĂ©claration de changement dâusage avant toute mise en location et y associer des mesures compensatoires, parfois trĂšs contraignantes :
- Nantes exige que la surface de nouvelle location touristique soit compensĂ©e par la mĂȘme surface de commerce transformĂ©e en logement.
- Ă Bordeaux, une surface Ă©quivalente doit ĂȘtre mise en location classique par le mĂȘme propriĂ©taire.
- Ă Saint Malo, les changements dâusage sont limitĂ©s par des quotas par quartier.
- à Paris, ces déclarations sont tout bonnement refusées dans certains arrondissements.
Mais au delĂ des rĂšgles, reste Ă de donner les moyens les appliquer par un renforcement des contrĂŽles. Les villes oĂč la rĂ©pression des fraudes est la plus active (Paris, Bordeaux, les Pays Basques) sont celles oĂč la location de courte durĂ©e diminue durablement. Il faut oser montrer les muscles pour dissuader. Cela demande des moyens humains, financiers et juridiques. Paris sâest ainsi dotĂ©e dâune brigade de 30 agents pour contrĂŽler sur le terrain les locations touristiques, en visant dâabord les multipropriĂ©taires. La ville ne rechigne pas Ă trainer ces fraudeurs devant les tribunaux, et a obtenu gain de cause dans les 2/3 des cas. Lille, Saint-Malo, Cannes, Annecy, Biarritz, Marseille disposent elles aussi dâune brigade spĂ©cialisĂ©e pour sâattaquer aux boĂźtes Ă clefs installĂ©es illĂ©galement sur lâespace public, rendant plus difficile la gestion Ă distance des locations par des non-rĂ©sidents.
Les villes en premiĂšre ligne dans la bataille contre les plateformes. LâasymĂ©trie est flagrante, tandis que les gouvernements europĂ©ens restent en retrait. La derniĂšre loi passĂ©e en 2025 Ă©largit certes les moyens des communes pour rĂ©guler les plateformes, mais actent aussi leur solitude face aux gĂ©ants. Airbnb (et les propriĂ©taires visĂ©s) ne se privent pas dâattaquer les villes qui passent Ă lâaction, paralysant ainsi les procĂ©dures. Ces plateformes savent aussi promettre aux Ă©lus de la visibilitĂ© sur leurs sites, pour les faire hĂ©siter Ă se lancer dans la bataille.
Mais grĂące Ă la tĂ©nacitĂ© de certaines villes europĂ©ennes â Paris en tĂȘte â lâĂ©quilibre des forces commence doucement Ă sâinverser. Airbnb a par exemple Ă©tĂ© contraint de verser plus de 8 millions dâeuros Ă la capitale en 2021 et a fini par intĂ©grer le numĂ©ro dâenregistrement obligatoire sur son site. La dynamique est en marche, les moyens sont Ă disposition.
Mais il faut oser. Cela implique de rĂ©sister aux chants des sirĂšnes des plateformes, et de sortir de la naĂŻvetĂ© en se rappelant un principe simple : les logements sont faits dâabord et avant tout pour les habitants. Attendre pour agir, c'est agir trop tard.
â Lucie Carpentier et Sylvain Grisot
PS : En écho à nos propositions pour le prochain mandat municipal, il faut lire la newsletter de Manon Loisel et Nicolas Rio sur les défis politiques qui attendent les élus locaux : Lettres aux 500 000 (futurs) élus municipaux.
Ă l'agenda...
- S'inscrire aux Rencontres Inter Mondes qui se tiennent Ă Nantes le 8 et 9 octobre sur le thĂšme "Artificiel". Deux jours de partage entre art et urbanisme pour questionner nos visions et enjeux relatifs Ă la fabrique des territoires.
- Participer aux Rencontres dâarchitecture en mouvement, organisĂ©es par le collectif Encore Ă Oleron-Sainte-Marie du 9 au 11 octobre. IntitulĂ©e âNous sommes le paysageâ, elle questionne notre rapport Ă la nature et nos reprĂ©sentations pour repenser ce Ă quoi lâarchitecture peut servir.
- Prendre la plume pour écrire une lettre à un proche sur le climat, et l'envoyer au podcast Chaleur Humaine (Le Monde) avant le 31 octobre. Si un différent relatif à la crise écologique vous a opposé, c'est l'occasion de vous expliquer et rappeler ce qui vous lie.
- Assister au colloque âLâamĂ©nagement, un acte culturel dans des territoires en transitionâ, le 3 novembre au SĂ©nat. Dans un contexte de profondes mutations territoriales, comment la culture peut-elle devenir un levier d'amĂ©nagement et de transformation sociale ?
- Participer Ă lâĂ©vĂ©nement ZAN en Bretagne : de la thĂ©orie Ă lâaction organisĂ© par la RĂ©gion Bretagne et la ConfĂ©rence RĂ©gionale de Gouvernance du Foncier, le 26 novembre 2025 Ă Saint Brieuc. Une journĂ©e pour les Ă©lues, professionnelles et experts de lâamĂ©nagement et du foncier en Bretagne qui veulent faire un diagnostic des nouveaux modĂšles dâamĂ©nagement et des outils quâil reste Ă inventer.
- Participer Ă la journĂ©e du PUCA du 27 novembre Ă Paris. Une journĂ©e pour revisiter deux dĂ©cennies de villes en thĂšses, pour questionner ce que lâaction fait de/Ă la recherche, ce que la recherche fait Ă lâaction. Revisiter le passĂ© pour mieux penser le futur. Pour mieux penser la ville de demain. Une ville moins fragmentĂ©e, une ville moins moche, une ville moins chiante.
Et maintenant vous pouvez...
- Lire Eloge du bricolage de Fanny Lederlin (PUF 2023). Une exploration philosophique des vertus du bricolage pour transformer notre rapport aux choses et au vivant, loin des logiques planifiées.
LĂ oĂč le plan (ou le programme) fait prĂ©cĂ©der la pratique (qui met en Ćuvre des moyens) par la thĂ©orie (qui fixe la fin et Ă©tablit les Ă©tapes et les buts intermĂ©diaires Ă atteindre pour y parvenir), le bricolage se prĂ©sente comme une tactique qui fait prĂ©cĂ©der la thĂ©orie par la pratique : ce sont les moyens qui fixent la fin. Autrement dit, ce sont le contexte, la situation, mais aussi les choses Ă portĂ©e de la main et dans la main et les ĂȘtres avec et pour qui agir qui orientent les intentions - toujours ouvertes, provisoires et sujettes Ă des modifications en cours de route - des agents du bricolage.
- Ecouter âMayotte : dernier des dĂ©partementsâ par La SĂ©rie Documentaire. Une trĂšs belle sĂ©rie de 4 Ă©missions, avec une mention spĂ©ciale pour le 3e dĂ©diĂ©e Ă la construction, oĂč lâon retrouve Vincent Lietard et Attila Cheyssial Ă qui lâon donne aussi la parole dans Voix de Mayotte.
- Lire la note âVagues de chaleur, pics & caniculesâ de lâADEME. Par les temps qui chauffent, lâADEME publie un dossier de presse formulant avis et recommandations. Câest une boĂźte Ă outils pour les collectivitĂ©s, les entreprises et les mĂ©nages afin de mieux se prĂ©parer et sâadapter Ă nos nouveaux Ă©tĂ©s.
âLes canicules sont la premieÌre cause de mortaliteÌ due aux extreÌmes climatiques : agir pour le rafraiÌchissement urbain est alors impeÌratif.â
