đŸ—łïž Transitions urbaines : Un mandat pour faire

Notre newsletter va désormais se consacrer aux enjeux urbains des prochaines élections locales. Cette semaine on montre pourquoi les questions urbaines sont particuliÚrement importantes pour le prochain mandat local.

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La fin du mois d’aoĂ»t est traditionnellement consacrĂ©e au rangement des affaires de plage, Ă  la prĂ©paration des cartables et aux diverses universitĂ©s d’étĂ© que les mouvements politiques organisent ici et lĂ . C’est pour moi l’occasion de prises de parole sur les transitions urbaines, en changeant chaque annĂ©e de parti et d’ambiance. La rencontre Ă  laquelle je participais cette annĂ©e fleurait bon l’échĂ©ance Ă©lectorale, et pas n’importe laquelle : les Ă©lections municipales de mars 2026. Quand on est focalisĂ© sur les questions urbaines, c’est un moment clef. D’autant plus que cette Ă©chĂ©ance est plus importante encore que les prĂ©cĂ©dentes, car elle va ouvrir un mandat qui doit ĂȘtre celui du passage au rĂ©el des transitions. Ce mandat verra aussi se multiplier les turbulences pendant lesquelles les Ă©lus locaux seront en premiĂšre ligne.

Alors essayons de comprendre pourquoi la fabrique de la ville doit faire ses transitions au plus vite, et pourquoi c’est un sujet trop sĂ©rieux pour laisser ça entre les mains des spĂ©cialistes dont je fais partie. Les transitions urbaines doivent ĂȘtre repolitisĂ©es, devenir un objet central du dĂ©bat Ă©lectoral et ĂȘtre rĂ©appropriĂ©es par les citoyens aprĂšs les Ă©lections. Commençons par regarder pourquoi on ne peut plus continuer comme avant.

Le moteur de la fabrique de la ville est Ă  l’arrĂȘt

On ne parle pas souvent de la maniĂšre dont on construit nos villes. Entre la segmentation des rĂŽles, des disciplines et des Ă©chelles institutionnelles, mĂȘme les professionnels en ont rarement une image complĂšte. Cela dĂ©termine pourtant l’existence du toit sur nos tĂȘtes, notre capacitĂ© Ă  nous dĂ©placer, comme la santĂ© de nos enfants. La façon dont nous fabriquons nos villes dicte Ă  la fois la qualitĂ© de notre vie quotidienne et notre capacitĂ© Ă  garder une planĂšte habitable. Or nous sommes aujourd’hui dans l’impasse.

Remontons le temps pour comprendre comment le XXe siĂšcle a permis de structurer un dĂ©veloppement urbain redoutablement efficace, mais dont on rĂ©alise tardivement qu’il nous mĂšne droit dans le mur (toute cette histoire est racontĂ©e dans le Manifeste pour un urbanisme circulaire). Quand la premiĂšre Ford T sort des usines de Detroit en 1908, personne n’imaginait Ă  quel point elle allait bouleverser nos villes et nos vies. Elle commence par nos rues, en dĂ©boulant trop vite alors qu’elles n’étaient pas pensĂ©es pour des vĂ©hicules aussi rapides, et fait des milliers de victimes. L’hĂ©catombe est tellement importante aux États-Unis que l’idĂ©e d’interdire la voiture en ville a fait l’objet de vifs dĂ©bats au dĂ©but du XXe siĂšcle. Mais ça ne s’est Ă©videmment pas passĂ© comme ça. C’est la ville qui commence Ă  s’adapter Ă  la voiture Ă  partir de 1925, quand les premiĂšres rĂ©glementations viennent cantonner le piĂ©ton sur le trottoir Ă  Los Angeles.

AprĂšs la rue, la Ford T rĂ©volutionne la façon dont sont fabriquĂ©es nos villes. Les prĂ©ceptes du fordisme sont connus : standardiser le produit pour permettre d’organiser le travail Ă  la chaĂźne, massifier la production et rĂ©duire le prix. L’invention du suburb aux États-Unis Ă  la sortie de la Seconde Guerre mondiale s’inspire de l’industrie automobile pour la fabrique de la ville, en appliquant sa recette d’abord Ă  la maison individuelle, puis aux autres produits immobiliers. Depuis, elle s’est concentrĂ©e sur la production de bĂątiments neufs standardisĂ©s et sur de grandes opĂ©rations qui permettent les Ă©conomies d’échelle. Alors le bĂ©ton coule Ă  flots, la consommation de matĂ©riaux explose et les Ă©missions carbone s’envolent.

Le dĂ©veloppement de cette ville industrialisĂ©e est aussi dĂ©pendant d’une autre ressource : l’espace. Car des produits immobiliers standardisĂ©s ont besoin de foncier standard pour s’implanter. Et quoi de plus simple que des terres agricoles en pĂ©riphĂ©rie des villes, opportunĂ©ment rendues accessibles par l’automobile ? C’est cette fois tout le territoire qui est bouleversĂ© par l’automobile, car la ville s’étale en suivant le dĂ©veloppement massif des infrastructures routiĂšres d’abord aux États-Unis dĂšs les annĂ©es 1950, puis en Europe dans les dĂ©cennies qui suivent.

En France, le phĂ©nomĂšne s’accĂ©lĂšre au milieu des annĂ©es 1980 avec la dĂ©centralisation, quand les Ă©lus locaux trouvent un modĂšle de dĂ©veloppement qui leur permet de contrer l’exode rural et de maintenir Ă©coles, commerces et services publics dans leur commune grĂące Ă  l’accueil de nouveaux mĂ©nages qui travaillent ailleurs. Alors les espaces urbanisĂ©s s’étendent en grignotant les terres agricoles, quitte Ă  compromettre notre capacitĂ© Ă  nous nourrir, dĂ©truire nos paysages, menacer les Ă©cosystĂšmes, intensifier l’usage de la voiture ou provoquer des inondations. C’est un urbanisme Ă  fragmentation qui spĂ©cialise les espaces et rend toujours plus dĂ©pendants du systĂšme automobile celles et ceux qui ne peuvent se payer la proximitĂ©. C’est donc aussi l’échec du contrat social qui permettait aux mĂ©nages aux revenus normaux de devenir propriĂ©taires d’un pavillon et d’un bout de jardin en contrepartie d’un Ă©loignement des centres. C’est un modĂšle trĂšs tardif Ă  l’échelle de nos villes, mais pas Ă  l’échelle de nos vies. Nous n'avons toutes et tous toujours connu que ça, ce qui rend d’autant plus difficile d’imaginer un autre modĂšle.

La voiture devait libĂ©rer les individus, elle est pourtant devenue l’une de nos vulnĂ©rabilitĂ©s collectives, car elle charpente notre organisation territoriale alors qu’elle est incapable de se dĂ©carboner. Et cette question n’est pas anecdotique, car la somme des Ă©missions de la construction, du fonctionnement des bĂątiments et des mobilitĂ©s du quotidien reprĂ©sente prĂšs de la moitiĂ© de nos Ă©missions de gaz Ă  effet de serre. La ville est donc au cƓur des responsabilitĂ©s de la crise climatique, mais elle est aussi la premiĂšre des victimes : inondations, canicules, tempĂȘtes, sĂ©cheresses, cyclones, feux de forĂȘt
 La ville est en premiĂšre ligne de pĂ©rils qui s’annoncent plus frĂ©quents, plus violents et toucheront des territoires qui se croient Ă  l’abri. Pour anticiper les risques urbains, nous regardons le passĂ© pour imaginer l’avenir, mais ces repĂšres sont dĂ©sormais caducs. Il va falloir apprendre Ă  vivre dans l’incertitude.

Le moteur de la fabrique de la ville tousse et s’arrĂȘte, et c’est tout le modĂšle de dĂ©veloppement urbain qui s’effondre sous nos yeux. Ce n’est pas une crise un peu douloureuse avant le retour Ă  la normale, mais bien la fin d’une Ă©poque. L’invention d’un nouveau modĂšle n’est pas qu’un enjeu technique dans la main de spĂ©cialistes. C’est un dĂ©fi social, car ce sont les mĂȘmes qui ont du mal Ă  boucler les fins de mois, vivent dans un logement indĂ©cent, sont dĂ©pendants de leur voiture, peinent Ă  payer leur facture Ă©nergĂ©tique et sont exposĂ©s aux nouveaux risques. La crise Ă©cologique est sociale, et nĂ©cessite de partager les efforts comme les ressources. Elle est donc aussi dĂ©mocratique car jusqu’à prĂ©sent les sacrifices sont inĂ©galement rĂ©partis et la colĂšre qui monte ouvre la voie aux populismes de toutes sortes.

Les transitions urbaines Ă  mener

Nous sommes entrĂ©s dans un moment charniĂšre en 2020, avec cette pandĂ©mie qui a tardivement tournĂ© la page du XXe siĂšcle et ouvert un XXIe en fanfare : crises climatiques, pĂ©nuries Ă©nergĂ©tiques, guerre en Europe, populisme au pouvoir
 Nous prenons conscience que notre planĂšte est finie au moment oĂč les bouleversements du climat remettent en question l’habitabilitĂ© de nombreux espaces urbains. La seule chose dĂ©sormais acquise est bien l’incertitude. AprĂšs les Trente Glorieuses et les Trente Insouciantes, nous sommes entrĂ©s dans les Trente Turbulentes. Ce sont les trois dĂ©cennies qui nous sĂ©parent du milieu du siĂšcle, au cours desquelles nous devons apprendre Ă  naviguer dans le brouillard pour garder le cap. Et ce malgrĂ© les crises et le prĂ©sent qui se remplit d’urgences, au risque d’en oublier demain comme d’en oublier certains.

DĂ©carbonation, adaptation, rĂ©silience : la ville doit se mĂ©tamorphoser d’ici le milieu du siĂšcle. L’hypothĂšse du statu quo ou de l’exode vers la campagne ne tiennent pas. Pour ĂȘtre Ă  la hauteur des crises du siĂšcle sans laisser personne de cĂŽtĂ©, la ville doit mener ses transitions, et vite. Car c’est long de refaire la ville, trĂšs long. C’est pour cela que les mandats locaux qui s’ouvrent bientĂŽt sont si importants, ils doivent ĂȘtre ceux du passage au rĂ©el des transitions. Mais la bonne nouvelle c’est qu’elles sont connues et qu’elles sont dĂ©jĂ  (trop timidement) engagĂ©es ici et lĂ  (j'en parle en dĂ©tails dans Redirection urbaine) :

#1 S’appuyer sur la proximitĂ© pour sortir de la monoculture automobile. Le vĂ©hicule dĂ©carbonĂ© du futur n’est pas la voiture Ă©lectrique, qui mobilise trop de ressources et provoque trop d’émissions lors de sa construction. Le futur est Ă  la proximitĂ©, qui laisse le choix de sa mobilitĂ© pour l’accĂšs aux services, aux commerces comme Ă  l’emploi. C’est aussi la proximitĂ© aux transports collectifs qui permettent de se projeter au loin. Inventons un futur heureux sans croissance aux territoires isolĂ©s pour commencer Ă  nous sevrer de la dĂ©pendance automobile. Quant aux villes de toutes tailles qui peuvent offrir la proximitĂ© aux services et aux transports collectifs, elles doivent assumer leurs responsabilitĂ©s en accueillant population et emplois.

#2 Passer de la focalisation sur la construction neuve Ă  l’urbanisme circulaire. Puisque plus de 80 % de la ville de 2050 est dĂ©jĂ  lĂ , il nous faut inverser les prioritĂ©s de la fabrique de la ville qui s’est consacrĂ©e Ă  la construction neuve les cinquante derniĂšres annĂ©es. Moins construire en intensifiant les usages de l’existant, moins dĂ©construire en transformant ce qui peut l’ĂȘtre, moins s’étaler en densifiant et en recyclant les espaces urbains, renaturer tous les sols qui peuvent l’ĂȘtre, telles sont les boucles de l’urbanisme circulaire. Il est partout expĂ©rimentĂ© sur le territoire, mais doit encore devenir le nouveau normal de la fabrique de la ville.

#3 Fonder la robustesse de nos territoires sur les solidaritĂ©s. S’il faut bĂątir et renforcer certaines infrastructures pour rĂ©sister aux chocs qui s’annoncent, admettons aussi que la technique ne pourra pas nous protĂ©ger de tout dans la durĂ©e. Nous devons donc apprendre Ă  renoncer dĂ©mocratiquement Ă  habiter certains territoires, comme Ă  abandonner certaines infrastructures. À nous prĂ©parer aussi aux crises par l’organisation des secours, le dĂ©veloppement de la culture du risque comme par la mobilisation de rĂ©serves citoyennes. Car quand la crise survient, c’est du voisin que vient la premiĂšre assistance. Le dĂ©veloppement du lien social au quotidien constitue donc une forme d’infrastructure sociale de rĂ©silience, vitale quand le temps tourne Ă  l’orage.

#4 Miser sur les coopĂ©rations Ă  toutes les Ă©chelles. Les temps ne sont plus au Maire visionnaire qui pointe du doigt un futur heureux en dĂ©cidant de tout. Ils sont aux Ă©lus qui savent avancer par leur diversitĂ© et gĂ©nĂ©rer de l’intelligence du collectif. Aux Ă©lus qui arrivent Ă  impulser une dynamique de transformation positive de leur administration. Aux Ă©lus qui savent Ă©couter et animer le dialogue citoyen et pas seulement dĂ©cider. Aux Ă©lus qui savent aussi coopĂ©rer avec les autres Ă©chelles institutionnelles. La nĂ©cessaire rĂ©forme du mode de scrutin local n’aura pas lieu, nous allons donc Ă©lire des exĂ©cutifs les yeux rivĂ©s sur une Ă©chelle communale qui n'est plus celle des problĂšmes et encore moins celle des solutions. Elle reste cependant une Ă©chelle pertinente du dialogue dĂ©mocratique, Ă  condition que les Ă©lus qui en Ă©mergent comprennent et jouent le jeu de l’intercommunalitĂ© et des coopĂ©rations territoriales.

Un mandat pour faire

Le prochain mandat n’est plus celui des grandes rĂ©flexions, c’est un mandat pour faire. C’est celui du passage Ă  l’action, du passage Ă  l’échelle des grands chantiers qui ne sont aujourd’hui qu’à peine amorcĂ©s : comment dĂ©simpermĂ©abiliser les sols urbains pour lutter contre les inondations et faire de la place au vĂ©gĂ©tal ? Comment dĂ©ployer dans nos villes une canopĂ©e suffisamment vaste pour qu’elle constitue une infrastructure climatique ? Faut-il accepter de perdre des logements au profit de l’hĂ©bergement touristique ? Comment valoriser la sous-occupation ? Peut-on offrir Ă  chacune et chacun un logement adaptĂ© au climat comme Ă  ses besoins ? Comment multiplier les services publics dans moins d’équipements publics ? Quels outils pour mener la transformation des zones d’activitĂ©s, des entrĂ©es de villes commerciales comme des quartiers pavillonnaires ? Comment prĂ©parer et impliquer les citoyens dans la gestion des crises ? Peut-on Ă©laborer une vision partagĂ©e d’un futur souhaitable avec les territoires voisins ?

Toutes ces questions n'ont rien de thĂ©orique, elles touchent directement le quotidien des habitants de nos communes. Elles sont aussi trop importantes pour ĂȘtre une fois de plus cantonnĂ©es aux marges des dĂ©bats en amont des Ă©lections. Alors, pour lancer les Ă©changes, nous allons tenter de rĂ©pondre Ă  chacune de ces questions dans les prochains mois. Nous serons preneurs de vos rĂ©actions, et d'ici lĂ  n’hĂ©sitez pas Ă  nous transmettre vos propres questions !

– Sylvain Grisot

PS : Ces prochains mois, je promĂšne mon micro Ă  la rencontre d’élus locaux français et quĂ©bĂ©cois. DĂ©couvrez le premier Ă©pisode de la sĂ©rie "Voix d'Ă©lus", avec Ericka Alneus, Ă©lue Ă  la ville de MontrĂ©al. Elle insiste notamment sur la proximitĂ© humaine entre les Ă©lus et les citoyens pour faire face aux turbulences. C’est l'un des enjeux de ce podcast : remettre une voix et visage humain sur la figure parfois distante et froide de l’élu local.


Et maintenant vous pouvez...

"Dans ce livre, les « sols» ne sont pas un rayon de magasin de bricolage. Ils sont la terre dans sa dimension matérielle : un mélange de minéraux, d'eau, d'air et de matiÚre organique structuré en couches appelées « horizons », qui repose sur la roche du sous-sol. Ils couvrent presque toutes les terres émergées. Cette terre en 3D met des siÚcles voire des millénaires à se former : c'est la « pédogenÚse ». Elle n'est guÚre épaisse, de quelques centimÚtres à quelques mÚtres. Et pourtant c'est d'elle que dépend la vie sur Terre. Le foncier, c'est la terre en 2D, celle qu'on voit sur le cadastre. Un morceau de la surface de la planÚte sur laquelle les sociétés projettent des droits d'usage, de gestion et de propriété."
  • Lire la note “Vagues de chaleur, pics & canicules” de l’ADEME. Par les temps qui chauffent, l’ADEME publie un dossier de presse formulant avis et recommandations. C’est une boĂźte Ă  outils pour les collectivitĂ©s, les entreprises et les mĂ©nages afin de mieux se prĂ©parer et s’adapter Ă  nos nouveaux Ă©tĂ©s.
“Les canicules sont la première cause de mortalité due aux extrêmes climatiques : agir pour le rafraîchissement urbain est alors impératif.”
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Commander notre dernier P'tit Papier “Voix de Mayotte”. Un rĂ©cit Ă  deux voix par Vincent Lietar et Attila Cheyssial sur les dĂ©cennies de construction 1980 - 1990 Ă  Mayotte. Une pĂ©riode dont on peut tirer beaucoup d’enseignements pour l’aprĂšs Chido.
« La dignitĂ© se construit aussi avec son logement et y participer donnait un sens extraordinaire Ă  tous nos mĂ©tiers. Il en rĂ©sultait une mobilisation et une dynamique qu’il serait bien utile de retrouver aujourd’hui.» Un ouvrage disponible sous format papier (7€) ou numĂ©rique (gratuit) dans notre librairie.

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