🌱 L’Île de Nantes, son Assemblée et le grand Parc de Loire

10 juillet 2025, la vague de canicule est officiellement close, mais il fait quand même bien chaud. Les discours s’éteignent à peine qu’une étrange procession pénètre dans le jardin : des faiseurs et des faiseuses de ville en file indienne, armés de grands bambous de 6 mètres au bout desquels flottent des manches à air colorées. Ces carpes volantes japonaises viennent peupler le « jardin des Possibles », arrimées aux tuteurs des arbres plantés là il n’y a que quelques semaines. Le soleil tape fort, mais les yeux se lèvent pour admirer ce ciel qui est une pièce essentielle du paysage nantais, comme aime à le rappeler Sylvanie Grée, à la tête de la nouvelle équipe de maîtrise d’œuvre du projet urbain de l’île de Nantes.
Ce jardin, c’est le jardin des Possibles. Il y a six mois à peine, il n’y avait ici qu’un tas de terre isolé derrière une clôture, et même pas l’idée d’y planter quoi que ce soit. Mais on avait besoin d’un lieu pour tester nos partis pris d’aménagement, et l’envie de montrer qu’un espace public de qualité pouvait apparaître en un instant. Six mois au pas de charge ont donc suffi à ouvrir ce jardin de 1000 m², renommé au sein de l’équipe le « jardin dès que possible ». Il faudra revenir sur cette aventure, car ce n’est pas de ce petit jardin dont je voudrais parler, mais de la naissance du grand Parc de Loire qui vient d’y être annoncée.

Ce parc d’une dizaine d’hectares va apparaître dans les années qui viennent, en lieu et place de la steppe lunaire passablement marquée par son passé industriel qui s’étale aujourd’hui au sud-ouest de l’île de Nantes. Parc du quotidien pour les habitants qui vont habiter les derniers îlots neufs à construire sur l’île, c’est aussi un équipement d’échelle métropolitaine qui a vocation à tisser un nouveau lien avec la Loire, et à ouvrir le champ vers l’Estuaire et l’océan. Ce parc, c’est un gros morceau d’une dynamique de transformation qui porte sur toute l’Île, entamée il y a plus de 20 ans maintenant. Ce bout de territoire attachant, niché au cœur de la métropole, a su mobiliser l’attention de beaucoup d’acteurs de la fabrique de la ville. C’est une terre d’expérimentation et de créativité, avec le ratio de Grand Prix de l’Urbanisme à l’hectare le plus élevé de France. Après avoir amorcé la grande période du « Projet urbain », l’Île engage désormais sa bifurcation écologique, puisque c’est comme cela que l’on dit ici. Ce virage écologique n’est pas une vraie nouveauté, mais le changement de l’équipe de maîtrise d’œuvre souhaité par Johanna Rolland et les élus de Nantes Métropole en janvier 2025 est l’occasion d’accélérer le rythme. C’est l’agence DICILA qui est désormais à la manœuvre, avec les complices d’Atelier Georges, H2O Architectes, Biotec, Le Sens de la Ville, Une autre ville, Vraiment Vraiment, Techni'cité et TPF Ingénierie… Une belle équipe pilotée par Sylvanie Grée.
La feuille de route posée par les élus et la Samoa est claire et ne manque pas d’ambitions : bâtir un nouveau quartier d’une vingtaine d’hectares, créer un grand parc qui dialogue avec la Loire et engager l’adaptation du reste de l’Île, tout en assurant une vraie dimension solidaire, accueillante pour l’ensemble du vivant. Je me suis opportunément embarqué dans l’équipe avec pour mission de capitaliser sur cette expérience. Car nous sommes là pour donner forme concrète à la bifurcation écologique, et la partie n’est pas simple. Mais ce qui est possible dans ce territoire exceptionnel avec une maîtrise d’ouvrage engagée et un cap politique affirmé n’est pas possible ailleurs. Nous avons donc la responsabilité de partager ce que nous allons apprendre sur l’étroit sentier de la redirection écologique en actes.
Raconter en marchant la bifurcation écologique de l’Île de Nantes
Capitaliser, ce n’est pas mettre en récit le projet. Cette mise en récit est une étape légitime et nécessaire pour rendre lisible la transformation, mais elle a tendance à lisser les aspérités du processus. Alors la capitalisation tente un pas de côté, en passant derrière le décor pour évoquer les bons comme les mauvais coups. Bien sûr, il restera une part de secret de fabrication et un voile pudique sur certains problèmes qui se règlent dans la discrétion, mais dont l’objectif est bien de partager tout ce qui peut l’être, pour que ce qui s’apprend ici soit utile ailleurs.
Benjamin Roux parle très justement d’un « art de conter nos expériences collectives » qui permet de développer « la culture des précédents ». Nous allons donc tenter d’y contribuer modestement. D’abord pour nous, cette belle équipe désormais plongée dans un territoire et un projet à l’histoire déjà bien écrite. Pour la Samoa, la métropole et les autres professionnels de la ville qui peuplent ce territoire ensuite. Et puis pour celles et ceux qui exercent ailleurs, pour lesquels l’Île de Nantes est une référence aux contours un peu flous.
Nous partageons dans l’équipe cette frustration maintes fois ressentie de participer à des démarches qui sortent des sentiers battus sans avoir le temps d’en formaliser et d’en diffuser les apprentissages. Hors de question cette fois-ci de laisser en friche les savoirs qui émergeront nécessairement d’un projet aussi précurseur. L’Île de Nantes a vocation à avoir des effets systémiques sur la fabrique de la ville, bien au-delà de son seul périmètre. La capitalisation a donc fait partie de notre proposition dès l’origine, avec quelques partis-pris forgés sur d’autres terrains. D’abord, ne pas attendre la fin de l’histoire pour capitaliser. C’est en marchant que l’on apprend, quitte à prendre le risque de se tromper. Il faut ensuite éviter les regards surplombants de celles et ceux qui ne sont pas au cœur de la bataille, tout en gardant la distance nécessaire pour voir la scène dans son ensemble. C’est pour cela que je suis dans l’équipe, sans être collé à l’action. Enfin, il faut s’accorder sur l’intérêt de cette démarche avec la maîtrise d’ouvrage, comme sur ses modalités. Dans un monde où le moindre faux pas peut donner lieu à une volée de tweets ineptes, c’est un pari audacieux que d’ouvrir le capot de la fabrique du projet, mais il est pris. Soyons donc clairs, ce qui se lit ici n’engage que moi, et cela me va bien.
Restait à identifier les sujets sur lesquels concentrer les premières étapes de cette capitalisation. Mais là , pas d’hésitation : il fallait nécessairement suivre les premiers pas de l’Assemblée de l’île, cette nouvelle instance participative que l’on a voulu intégrer au cœur de la conception, d’autant plus que sa première tâche était d’éclairer l’émergence du grand Parc de Loire.
La naissance de l’Assemblée de l’île
Commençons par planter le décor et présenter les acteurs. L’équipe de maitrise d’œuvre a proposé plusieurs modalités de dialogue. Une démarche d’« aller vers » les habitants de l’île avec un travail d’enquête et l’ouverture d’un lieu qui leur est dédié : la Perm. Bon, très honnêtement, on avait proposé d’appeler ça « la Perm à Nantes », mais on en fait visiblement parfois un peu trop. Il y a aussi l’idée de multiplier les prototypages in situ, par des aménagements ou du mobilier temporaire pour en tester l’usage avant tout déploiement. Et puis, il y a bien sûr l’Assemblée de l’Île.
L’Assemblée, c’est un groupe d’une quarantaine de personnes réunies pour débattre en continu des grandes orientations stratégiques du projet. Notre envie est de les solliciter le plus en amont possible pour nourrir la conception, plutôt que de les faire réagir sur des plans finalisés. C’est une démarche expérimentale qui a vocation à évoluer dans le temps, mais l’idée est bien de disposer d’un groupe engagé dans la durée, avec un renouvellement limité aux défections que l’on espère peu nombreuses.

Reste à composer cette assemblée. L’idée d’une représentativité se heurte aux réalités d’un groupe qui doit rester suffisamment étroit pour que son animation ne nécessite pas une débauche de moyens. Et puis, sur quelle base fonder cette représentativité ? Sur la sociologie des habitants de l’île ? Sur celle attendue une fois les aménagements réalisés ? Qui sont les habitants de l’île, celles et ceux qui y dorment ou celles et ceux qui y travaillent ? Quid d’un échantillon représentatif de la métropole plutôt ? Autant de questions insolubles qui nous font pencher pragmatiquement vers une recherche de diversité plutôt que de représentativité. Sur la base de candidatures ouvertes qui ont mobilisé 138 personnes, complétées par des sollicitations lors de l’aller vers, 38 personnes ont été sélectionnées, regroupées en trois collèges d’égale importance. Il y a celui des habitants bien sûr, formé de résidents de l’Île comme de la métropole. Un autre regroupe les structures économiques et sociales de l’Île comme le Solilab, des commerçants, l’Agronaute ou des acteurs sociaux. Et puis il y a le collège des transitions qui doit porter la voix du vivant au sein de l’assemblée citoyenne, en plus de mobiliser quelques experts thématiques.
Aux partis pris de l’équipe, s’ajoutent aussi les modalités du dialogue citoyen à la nantaise. Les démarches participatives s’appuient ici sur plus d’une décennie de pratique organisée sur un partage des rôles très clair. C’est aux élus légitimés par le suffrage universel que revient la responsabilité de donner un mandat clair aux citoyens, qui précise la question qui leur est posée et les modalités de dialogue. Les citoyens débattent ensuite entre eux pour élaborer des propositions. La décision revient enfin aux élus, avec l’engagement d’expliquer tout écart par rapport aux propositions citoyennes. Ce temps de dialogue citoyen est donc une parenthèse participative dans la démocratie représentative. Un temps légitime et abrité, qui peut parfaitement être adapté à notre logique d’assemblée permanente, en séquençant tous les six mois des sujets différents qui donnent lieu à des allers-retours spécifiques avec les élus.
Comment faire alliance avec le vivant ?
Le thème de la première séquence découle très logiquement de la volonté affirmée par l’équipe de faire alliance avec le vivant : Comment voulons-nous vivre concrètement avec la nature dans notre ville ? Comment cela doit-il influencer la conception d’un grand parc métropolitain ?
« Il fallait fixer le cap des ambitions du parc. La décision de faire un parc de 10 hectares dans le sud-ouest de l’île était déjà prise. Nous, l’équipe, avons défendu l’idée de l’alliance ville-nature, avec quelques orientations assez sommaires. Mais nous nous sommes astreints à cet exercice inhabituel de laisser à l’Assemblée le soin de fixer le cap avant de prendre le crayon et de dessiner le projet. L’Assemblée se prononce sur les ambitions à porter tout au long du projet, c’est vraiment important pour nous. Je leur avais d’ailleurs adressé ce message lors des premiers échanges : « Dans la posture dans laquelle on vous met, on ne pourra pas être plus ambitieux que vous. C’est vous qui fixez le cap. »
– Sylvanie Grée

Ce n’est donc qu’une fois ce cap fixé que le travail de conception peut commencer, ce qui n’est pas sans poser quelques défis de calendrier. Dans un projet de ce type, le planning se construit toujours à rebours, avec ici des contraintes significatives et le souhait d’une communication publique sur le projet en juillet. Notre mission ne commençait pourtant qu’en janvier de la même année, avec un appel à candidatures dès début février et une Assemblée constituée dès le 13 mars. Ce n’était pas gagné d’avance, mais le nombre de candidats a permis d’assurer une belle diversité au sein du groupe.

Ce calendrier serré laisse peu de temps pour mener le dialogue avec les citoyens, procéder aux arbitrages et concevoir les premières esquisses. Ces contraintes ont nécessairement affecté les conditions de travail des citoyens comme de l’équipe, sans toutefois nuire à la qualité de leurs productions. Le 22 mars marque la première rencontre de l’Assemblée, avec le passage du mandat par les élus et une balade commentée du parc naturel de Beaulieu à la pointe Est de l’île de Nantes. Cette visite introduit le sujet de l’alliance ville-nature en vue du travail sur le futur parc à l’autre extrémité de l’île. S’ensuivent des ateliers de travail les 2 et 22 avril, permettant de proposer aux élus trois scénarios programmatiques et leur traduction spatiale par l’équipe de maitrise d’œuvre dès le 13 mai. C’est sur cette base que les premiers arbitrages sont effectués, avant que l’esquisse ne commence à prendre forme. Le 2 juillet, les élus prennent la parole devant l’Assemblée pour expliquer leurs choix, puis Sylvanie présente les premières esquisses du parc en noir et blanc, n’ayant pas encore eu le temps de faire la mise en couleur. C’est l’instant de la révélation des premières images, accueillie par les applaudissements aussi inattendus qu’émouvants des membres de l’Assemblée. Manifestement, nous n’avons pas trahi leur confiance.
Ce ne sont que les premiers pas du Parc de Loire comme de l’Assemblée, mais au delà de ces esquisses qui traduisent une ambition encore intacte après six longs mois de travail, il y a beaucoup à apprendre du cheminement qui a permis de les produire. C’est toujours cette histoire de destination, souvent moins importante que le chemin pour y parvenir. Ce chemin qui donne toute sa saveur au voyage.
Je vous raconte tout ça dès la rentrée.
– Sylvain Grisot, juillet 2025
À partir de la rentrée, la Newsletter de dixit.net évolue pour essayer de placer les transitions urbaines au cœur des débats des élections locales qui s'annoncent. Les articles seront plus approfondis et les parutions plus espacées, pour nous laisser le temps d'aller au fond des choses. À noter : notre newsletter ne sera désormais accessible en version complète que sur le site dixit.net. Pour celles et ceux qui nous lisent sur Linkedin, c'est le moment de vous abonner (gratuitement) sur dixit.net pour ne rien manquer à la rentrée !
Et maintenant vous pouvez...
- Écouter la visite du quartier Viauville de Montréal, avec nos guides Emilie Therrien et Marc André Robertson du Hoche Lab. A l’Est de Montréal, dans ce quartier autrefois industriel et prospère, l'activité économique et commerciale a déserté. Une nouvelle dynamique s'installe désormais, mais elle s’accompagne d'une gentrification sociale et fonctionnelle. Hoche Lab est un acteur du redéveloppement urbain qui a pour objectif de préserver la diversité sociale et économique du quartier.
- Écouter sur la route des vacances les 150 autres podcasts dixit.net sur les initiatives de celles et ceux qui (re)font la ville autrement.
- Visiter l’exposition Banlieues Chéries au Musée de l’Histoire et de l’Immigration jusqu’au 17 août à Paris. C’est une immersion au cœur de l’histoire des banlieues, pour dépasser et interroger les clichés. Mêlant musique, photo ou vidéo, l'exposition brosse un tableau subtil et cohérent de ces territoires multiples.
- Lire "La vie révée de Nikola Tesla" de Yannick Roudaut aux éditions La mer salée. C'est un roman très documenté qui explore l'hypothèse heureuse de l'émergence d'une énergie propre et abondante, et des résistances qui ne manqueraient pas de s'organiser contre ce changement de monde.
"Je m'appelle Nikola Tesla. Ce que je m'apprête à vous dévoiler aujourd'hui va changer le cours de vos vies et celui de l'humanité. Il existe une possibilité d'enrayer la dégradation climatique en mettant fin aux émissions de gaz à effet de serre. Il y a maintenant plus d'un siècle, j'ai percé le mystère de l'énergie présente dans l'air autour de nous, de cette source inépuisable disponible en tous points de la planète."