Si on ne sait pas faire mieux, on garde.

Bienvenu dans le quartier de Villeneuve, à Grenoble: parc, lac urbain, grands logements... Qu'est-ce que l'on rénove, comment ? Et si on choisissait de garder, quand on ne sait plus faire mieux ?

Si on ne sait pas faire mieux, on garde.

Vendredi 26 août 2022, 14h. Après un repas végétarien apporté à nos bouches d’urbanistes affamés par triporteur, nous partons en balade. Une quinzaine de personnes, sacs à dos, lunettes de soleil et blocs notes à la main. Micro tendu. Bref, une horde d’urbanistes en Université d’été à Grenoble.

Après une dizaine de minutes de marche, nous voilà à Villeneuve. Quartier qui a déjà fait coulé beaucoup d’encre sur l’insécurité et la délinquance qui y règne (ce qui est toujours bien complexe à objectiver). Pour le moment, on voit surtout un parking où se mêle voitures garées et stockages, une déchetterie et de grandes tours en forme de vague. Certaines sont toutes pimpantes avec les nouvelles fenêtres oranges, rouges et violettes. D’autres manquent cruellement de fraîcheur, voire sont bien tristes. Il n’y a pas une voiture qui circule. Et derrière les poteaux, on aperçoit les troncs des arbres. On dirait qu’il y en a beaucoup, mais on y reviendra.

Garder l’existant

Le quartier de Villeneuve, au sud du centre ville de Grenoble, a été construit dans les années 70s, après les Jeux Olympiques. Il s’agissait d’une grande ZUP allant jusqu’à la ville d’Echirolles. Les parties qui nous visitons aujourd’hui sont L’Arlequin (construit dans les années 1970-72) et Les Géants (construit dans les années 1976-80). Les tours sont hautes, passant de six à quatorze étages, ce qui leur donne cette forme de vague. Ou de montagne, selon les inspirations de chacun. Les logements sont de qualité : grands, traversants, avec de nombreux duplex et triplex. En fait, des logements introuvables dans le neuf aujourd’hui.

Le quartier est parsemé de nombreux équipements : un collègue, qui a été reconstruit suite à un incendie volontaire ; des écoles maternelles et primaires, dont une sur le toit d’un parking ; une bibliothèque ; un centre social ; un théâtre, scène nationale pour la jeunesse ; un café associatif… Il faut dire que les élus, à l’époque, n’avaient pas froid aux yeux ! Ils imaginaient que la croissance démographique du quartier serait importante. Il leur fallait préparer l’avenir, quand la métropole accueillerait un million (oui, un million !) d’habitants ! Mais ça, c’était avant le premier choc pétrolier. Aujourd’hui, il y a 158 000 habitants à Grenoble et 500 000 à l’échelle de la Métropole. On parle de 10 000 habitants dans le quartier de la Villeneuve, mais on ne sait plus trop, les anciens du coin commencent à s’emmêler les pinceaux… Cela a tout de même eu l’avantage d’éviter une cité-dortoir et d’avoir un quartier bien pourvu en services. Et si certaines classes d’écoles ont fermé, faute d’enfants, des associations ont récupéré les locaux pour en faire leur QG.

Il y a aussi de nombreuses places au pied des tours, sans présence de voitures, qui sont reléguées aux franges du quartier ou dans son sous-sol.

Revenons aux logements, la main au-dessus des yeux, car les tours sont hautes et le soleil tape fort aujourd’hui. Le quartier de la Villeneuve est un mixte d’ensembles gérés par des bailleurs sociaux et de grandes copropriétés. Plus de 400 lots dans l’une des co-pro. Grandes, je vous l’avais dit.

Mais évidemment, l’ensemble du quartier nécessite une réhabilitation lourde, qu’il est difficile de voter à 400 propriétaires. Un plan de sauvegarde des copropriétés a donc été mis en place, entre l’ANRU et la Métropole de Grenoble. Première étape : faire des scissions pour avoir des ensembles de copropriétés plus petits et donc plus facile à gérer. Deuxième étape : les soutenir financièrement. Même si ces ménages sont propriétaires de leur logement, le niveau de revenus de l’ensemble du quartier reste modeste. Pour une réhabilitation globale qui coûte environ 60 000 à 80 000 euros par logement, le propriétaire a une quote-part de 10 000 euros maximum. L’ANAH et la métropole financent le reste. Un chef de projet et une équipe de la Métropole sont dédiées au projet de réhabilitation pour piloter l’ensemble de l’opération, logements sociaux ou privés confondus.

Travailler avec autant de particuliers n’est pas le plus simple, mais là où se défend encore plus la Métropole, c’est sur les démolitions. Le souhait de la Métropole : faire le moins de déconstruction possible. Autant vous dire qu’un bras de fer avec l’ANAH s’est engagé… Pourtant, les arguments sont clairs. Les objectifs SRU ne sont pas encore atteints (projection : 25% de logements sociaux en 2025) par la Métropole et il n’y a pas assez de foncier disponible pour faire de nouvelles opérations. Qui plus est, plus personne n’accepterait d’avoir des bâtiments de cette taille là dans un autre quartier de Grenoble. Mais surtout : si nous ne sommes pas capables de faire mieux, alors il ne faut pas déconstruire. Et rappelons le, ces logements sont de qualité : grands et traversants, autrement dit, rares.

Le fin mot de l’histoire n’a pas encore été prononcé : quelques bâtiments vont être déconstruits pour ouvrir le quartier, certains sont déjà réhabilités et d’autres sont sur la sellette : tombera, tombera pas… ? Aux immeubles déjà rénovés ou en cours de rénovation sont ajoutés des ascenseurs, et la typologie des logements est repensée pour avoir davantage de T3 et de T2. Evidemment, une réhabilitation thermique efficace est l’un des premiers objectifs. L’envolée des prix de l’énergie est très inquiétante pour les ménages modestes. Mais Grenoble a un mix énergétique important, grâce à des centrales chaleur bois et à la valorisation des déchets verts, qui la protège, pour l’instant, de la flambée générale.

Un écoquartier populaire

Il y a un élément dont je ne vous ai pas encore parler, je gardais un peu la surprise, car c’est un élément qui se cache un peu. Il faut s’aventurer de l’autre côté des tours pour le découvrir. Un parc. Grand. 14 hectares, frais et vallonné. Au milieu, un bassin d’eau de 4000m2. D’ailleurs, on l’appelle “le lac”. Evidemment, il est interdit de s’y baigner. Non pas à cause de la profondeur, mais parce que l’eau n’est pas aux normes sanitaires. Un gros panneau rouge “baignade interdite” est vissé sur les bords du bassin. Croyez vous que cela empêche les enfants de s’y jeter, d’y nager et de jouer avec leurs copains et copines ? Que nenni. Mais quand on les regarde, on les comprend. Il fait 40° et on aurait bien envie de les rejoindre.

Et c’est exactement ce sur quoi travaillent les services de la Métropole : comment rendre ce “lac” accessible à la baignade ? Il y a milles idées, milles contraintes, mais ils sont bien déterminés à en faire une piscine naturelle, avec de légers aménagements autour. L’obligation d’instaurer une surveillance et de réguler l’accès au lac ne facilite pas la mise en place du projet, mais la volonté est là et les contournements (oups) toujours possibles…

Ce qu’il y a d’important dans ce projet, c’est non seulement de rendre possible une pratique qui est déjà là, de ramener l’eau en milieu urbain, mais aussi d’ouvrir le quartier de Villeneuve sur le reste de la ville. La plupart des grenoblois.es ne connaissent pas l’existence de ce parc. Il faut dire que la réputation de Villeneuve n’est pas des plus sympathiques, et mêmes les demandeurs d’asile savent “qu’il ne faut pas vivre ici”, ce serait cumuler les problèmes. Pourtant, les réhabilitations permettent quelques nouvelles attributions, en ciblant des personnes aux revenus très modestes, mais qui vivent d’un emploi et non des allocations. Une plus grande diversité des profils tente d’être mise en place, afin d’apaiser un peu le quartier.

C’est pour cela que la Métropole parle d’un éco-quartier populaire : il a milles vertus, ses habitants y sont attachés et pourtant tout y est compliqué. Alors comment le transformer, mais pas trop, pour qu’il s’ouvre, se mélange au reste de la ville, mais sans reléguer encore plus aux franges les plus démunis ?

Cette balade dans le quartier de la Villeneuve change un peu des habituel.les pionniers et pionnières qu’on peut vous faire découvrir. Ici, le projet est long, conflictuel et sensible. La réhabilitation de ce quartier a l’immense défi de l’apaiser, sans le dénaturer, sans le déconstruire, pour que chacun.e s’y sente encore chez soi.

Frédérique Triballeau · dixit.net · Octobre 2022

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