🤢 Du vert au gris, l'Europe change de couleur
Comment l'Europe dilapide ses sols, plus rapidement qu'on ne le pensait.

L’artificialisation des sols ne fera jamais la une d’un journal télé. C’est un problème trop lent et trop diffus pour passer à l'antenne, malgré ses conséquences climatiques, environnementales et sociales majeures. C’est aussi un problème sous-estimé, car les petits projets de construction passent dans les trous de la raquette des indicateurs européens comme le Corine Land Cover.
Le projet de recherche Green to Grey fait pourtant tout son possible pour tirer la sonnette d’alarme. Le Monde fait partie des médias mobilisés, et publie un article qui synthétise ses enseignements. Cette recherche est menée à l’échelle européenne, car c’est en dézoomant qu’on voit le mieux l’effet massif de l’artificialisation. Elle déploie aussi des outils de mesure plus précis pour affiner la mesure de l'ampleur de l’artificialisation, 50% plus rapide que les précédentes estimations. Bref, elle donne une image des sols de toute l’Europe, en haute résolution.
Première piqure de rappel, l’artificialisation n’a pas de lien direct avec les dynamiques démographiques. Chaque habitant consomme 0,6 m² en Suisse, mais 10 fois plus en Norvège. Il n’y a donc ni corrélation, ni causalité entre population et consommation d’espace. En valeur absolue, la France est sur le podium des plus gros consommateurs de terre, derrière la Turquie et la Pologne. Les sols que nous grignotons sont principalement des terres agricoles, contrairement aux pays scandinaves qui déracinent leurs forêts ou aux pays d’Europe du Sud qui bétonnent leurs côtes. Ce mécanisme s’explique facilement : la France protège bien ses espaces naturels, mais beaucoup moins bien ses terres agricoles. Les champs de patates se revendent en “zone constructible” pour financer les retraites dérisoires de nos agriculteurs. En Suisse, où les terres fertiles sont une denrée rare, la loi fédérale sur le droit foncier rural écarte cette possibilité, ce qui explique entre autres ses meilleurs résultats.

Quels sont les moteurs de l’artificialisation ?
Le premier est le logement, responsable de 41% des terres consommées entre 2018 et 2023. Mais de quel type de logement parlons-nous ? Ce sont notamment des résidences secondaires, des villas de luxe, des hôtels qui accueillent des touristes quelques mois par an dans des recoins de plus en plus isolés de “nature idyllique”. Ces opérations explosent principalement sur les littoraux. Ce sont aussi des opérations de logements peu denses qui ne participent guère à résoudre la crise du logement. En France, les opérations de moins de huit logements par hectare sont responsables de 50% de l’artificialisation des sols, alors qu’elles ne produisent que 19% des logements neufs.
En deuxième place, la catégorie “logistique et transports” est l’outsider qui créé la surprise dans la course aux sols. Si les espaces logistiques ne couvrent que 2% des terres artificialisées en France, leur appétit est grandissant. Avec les transports, ils représentent 22% de l’artificialisation qui a eu lieu entre 2018 et 2023. La logistique est souvent mélangée avec le commerce et l’industrie. Son poids est donc dissimulé derrière celui des zones commerciales, plus visibles. Tandis que les centres commerciaux en extension ont été “par principe” interdits dans la loi Climat et Résilience, les zones logistiques n’ont fait l’objet d’aucune contrainte particulière. Preuve que la loi a un temps de retard sur les habitudes de consommation : on ne se perd désormais plus dans les malls, mais dans les applis d'e-commerce.
Le troisième moteur de l’artificialisation sont les projets agricoles. Une dénomination bien trompeuses lorsqu’on se penche sur ce qui sort de terre : des mégabassines, des hangars agricoles, des méthaniseurs industriels… ou des serres en verre pour faire pousser fraises et tomates même en hiver. Des infrastructures qui nous ancrent toujours plus profondément dans une agriculture productiviste, inadaptées aux turbulences climatiques.
Usines de frites surgelées, terrain de golf sur la côte, village vacances ou site de construction de yatchs de luxe… Le projet Green to Grey inquiète non seulement par les chiffres de l’artificialisation, mais aussi par le type d’opérations réalisées, symboles d’une société consumériste, y compris de ses sols.
– Lucie Carpentier
Ă€ l'agenda...
- Se rencontrer à La FAB de Bordeaux Métropole, le 6 novembre 2025, pendant une soirée sur le thème “Prendre soin de la ville : et si on réparait ?”. En présence de Jérôme Denis et David Pointille, pour explorer les pratiques de maintenance, de réparation et de soin apportées aux infrastructures urbaines.
- Participer aux rencontres annuelles AdaptaVille 2025 qui se tiennent le 5 novembre à l’Académie du Climat. L’Agence Parisienne du Climat dédie cette après-midi à l’adaptation au changement climatique des territoires.
- S’inscrire au webinaire du 27 novembre par le CEREMA, sur les pistes cyclables à haut niveau de service. En partenariat avec la Fédération française des Usagers de la Bicyclette, ce webinaire explore les principes et retours d’expérience tirés de ces politiques de mobilité durables et inclusives, que ce soit en métropole ou territoires moins denses.
- Assister au colloque “+4°C : quelles politiques pour loger la France de demain ?” qui aura lieu le jeudi 18 décembre à Sciences Po Paris. Un après-midi d’échanges entre acteurs et chercheurs pour débattre des politiques publiques en matière de logement et d’aménagement à l’heure du changement climatique.
Et maintenant vous pouvez...
- Regarder la petite série documentaire Jardin Public sur France tv. Nous partons à la rencontre des jardinières, gardiens et directrice du Jardin des Plantes de Nantes qui se confrontent au quotidien aux enjeux globaux du changement climatiques. Entre esthétisme du parc, moindre consommation de ressources, conservation des collections… comment s’adapter aux temps qui changent ?
- Lire cet article du Monde sur l’étonnant développement de pistes cyclables dans la ville de Muttersholtz. Il a fallu dix ans de négociations pour que 100m de pistes voient le jour à travers des propriétés privées, pour le plus grand bonheur des écoliers.
- Lire "L'insoutenable abondance” de Philippe Bihouix, dans la collection des Tracts de Gallimard. C'est une utile synthèse très didactique de son travail qui élargit le regard au-delà du carbone et du climat, pour se préoccuper aussi des ressources, à rebours des techno-optimistes.
“Quel autre choix s'offre à nous? Celui d'une trajectoire à reprendre en main. Cela ne sera pas simple, bien sûr. Elle n'est ni écrite, ni garantie; mais elle pourrait offrir bien des avantages, bien des fiertés, bien des plaisirs plus concrets, plus accessibles, plus réalistes, plus véridiques, plus humains que le bonheur futuriste de la conquête de Mars de Musk, du métavers de Zuckerberg ou de la conscience artificielle d'Altman.”