Périgueux construit dans ses jardins
Stéphane Honoré est chef de projet Action Cœur de Ville à Périgueux. Il nous explique la démarche BIMBY (Build in my Backyard) lancée dans sa ville il y a 4 ans.
Sylvain Grisot > Bonjour Stéphane, vous êtes chef de projet Action Cœur de Ville à Périgueux. Il y a quatre ans, la ville s’est lancée dans une démarche BIMBY avec l’agence Villes Vivantes. Pouvez-vous introduire le sujet : qu’est-ce que le BIMBY ?
Stéphane Honoré > Le BIMBY est une démarche de densification douce qui permet de développer une offre nouvelle d’habitat, en l’occurrence ici à Périgueux, une ville de 30 000 habitants, dans un tissu déjà largement urbanisé. Cela nous a permis d’avoir des propositions pour une nouvelle offre d’habitat à faire auprès des habitants de la ville, mais aussi ceux qui souhaitaient s’installer chez nous.
C’est un concept sur lequel il y a peu de retours d’expériences. Il y a le NIMBY, Not In My Backyard, soit des mouvements d’opposition à la densification urbaine. Là, c’est l’inverse, c’est le Build In My Backyard, soit "construit dans mon jardin". Quand vous dites densification douce, quels sont les exemples que l’on peut citer ?
Il y a plusieurs cas de figure. L’image première, c’est la construction dans le fond d’un jardin, où l’on vient ajouter un pavillon ou une maison supplémentaire. Cela peut aussi être l’extension d’un bien existant pour permettre à une famille qui souhaite s’agrandir et rester dans son habitat actuel sur la commune avec une offre correspondant à ses attentes. Cela permet aussi parfois de faire un petit investissement locatif, comme une création de petits studios dans un jardin qui pour recevoir des jeunes travailleurs, des étudiants, et de compléter ainsi un revenu. Cela permet également de pouvoir réinvestir dans son logement existant pour le mettre aux normes d’accessibilité pour des personnes vieillissantes, ou pour faire de la rénovation thermique. On peut être aussi sur des terrains encore assez vastes, où on va créer cette fois plusieurs parcelles, comme les lotissements qu’on retrouve dans les zones périurbaines. Parfois, on remobilise un parc déjà existant, des maisons ou des bâtiments qui avaient une vocation d’artisanat à une certaine époque, que l’on va complètement reconfigurer pour permettre la reconstitution d’une offre de logement dans un tissu qui est déjà urbanisé. C’est un peu le slogan d’inviter des voisins à habiter dans son jardin, mais cela va plus loin que ça. Il y a toute une diversité, toute une palette d’actions pour travailler sur le tissu existant.
La ville de Périgueux s’est lancée il y a quelques années dans cette expérimentation. Comment découvrez-vous le concept de BIMBY et qu’est-ce qui pousse les élus à essayer ?
On s’est penché sur cette question lors de la révision de notre PLU communal en 2015. On commençait à recenser les terrains à bâtir, les zones potentiellement urbanisables pour y définir des règles. On avait très peu de terrains qui restaient encore à urbaniser. Il restait quelques terrains naturels, mais avec deux ou trois agriculteurs. Et pour nous, il n’était pas concevable de venir mordre une fois de plus sur ces terrains naturels pour accueillir de nouveaux habitants. Les bureaux d’études qui nous ont accompagnés sur cette démarche nous ont proposé ce concept du BIMBY. Les élus ont été un peu surpris, car c’était novateur à l’époque. Mais très vite, ils se sont pris au jeu et ont permis que le règlement d’urbanisme soit compatible avec ce type d’urbanisation.
Oui, la première étape est de regarder le tissu urbain un peu différemment pour chercher les fonciers invisibles, ces bouts de terrains disponibles à droite et à gauche, et ces bâtiments sous-occupés. C’est aussi adapter, changer le PLU pour rendre possible les interventions sur ce tissu. Quels sont les éléments et les étapes suivantes qui viennent rendre possible cette densification douce ?
Le premier point, c’est en effet d’étudier le potentiel. On a eu un travail assez fin réalisé par le bureau d’études sur la taille des parcelles, leur constructibilité, et puis également un point un peu plus sociologique : qui habitaient ces maisons, de quelle génération ils étaient, etc… On a vu qu'une large majorité de propriétaires avaient plus de 60 ans, voire 70 ans, et donc, qu'on avait un potentiel de mutation dans les années à venir relativement important. Un turn-over s’annonçait sur ce type d’habitat.
On a ensuite mené avec le bureau d’études une centaine d’entretiens sur comment des porteurs éventuels de projet pouvaient imaginer un projet BIMBY, d’extension ou de densification. Il y avait ainsi des besoins qui n'étaient pas compatibles avec le PLU existant. Par exemple, un accès à un fond de parcelle, en sachant qu’il y a l’obligation d’avoir un accès véhicule, qui interdisait la construction d’une seconde maison si cet accès véhicule n’était pas possible. On a perçu le besoin de déroger à cette règle. Ce travail d’analyse a été très important pour nous guider dans la rédaction de notre nouveau PLU.
Quand on rentre dans le cœur du sujet, comment ça se passe ? Par rapport à une étude urbaine traditionnelle, s’est-il passé des choses un peu exceptionnelles à Périgueux pour pousser la démarche ?
On a très vite réfléchi avec le bureau d’études sur la mise en place d’un suivi accompagnant des porteurs de projets, avec un volet ingénierie. On a tout de suite émis des objectifs chiffrés qui nous semblaient réalistes en termes de densification douce. A Périgueux, par exemple, on était parti sur 30 à 40 projets de densification douce par an, pris en charge par la collectivité. C'est un investissement public pour des projets privés. Cela implique bien sûr une autorisation d'urbanisme, et tout un volet communication pour faire connaître la démarche auprès des habitants. On a donc fait la pêche aux projets, du porte-à-porte pour donner envie aux uns et aux autres de se lancer dans un projet de transformation de son chez-soi.
Non seulement on n’attend pas les dossiers, mais on les accompagne. C’est extrêmement mobilisateur. Ce sont vraiment des projets structurants. En quoi consiste cet accompagnement ?
Il est assez transversal. Il ne s’agit pas de seulement faire rêver les porteurs de projet, mais bien qu’ils se retrouvent avec quelque chose de réaliste et de réalisable. Il y a plusieurs sortes de médiations : familiale, pour que le projet fasse vraiment écho au sein d’un foyer, entre un couple, et parfois entre les enfants et les parents. Par exemple, pour les personnes âgées qui n’ont pas accès au crédit bancaire, il y a eu une médiation mise en place avec les enfants pour pouvoir trouver une solution au financement de projets et d’offres d’habitats nouveaux. La médiation avec les riverains est aussi très importante, pour s’assurer qu’il y ait une bonne acceptabilité de ce projet auprès d'eux. Non seulement on parle dans la famille, mais aussi avec le voisinage.
Et ça, c’est important, et c’est fait par un tiers, ici Villes Vivantes, qui n’est pas la mairie. Il y a donc aussi sur une médiation entre les propriétaires et la municipalité.
Tout à fait. Habituellement, une fois l’autorisation faite, la mairie a fini de jouer son rôle, et le porteur de projet se retrouve seul avec son projet. Ici, il bénéficie d’un acteur tiers, un médiateur qui permet de gérer très en amont certains conflits. Dans le cas où les voisins s’inquiétaient à la vue d’un géomètre délimitant une parcelle, avant même qu’un panneau de permis de construire ne soit affiché, la médiation permet de nouer un premier contact, d’expliquer de quoi il s’agit avant de se retrouver devant des levées de boucliers. Vu le nombre de dossiers réalisés, on a eu très peu affaire à ce type de conflit, alors qu’on en rencontre régulièrement d’habitude.
La collectivité missionne donc cette ingénierie auprès des habitants, mais aussi, in fine, attribue ou pas un permis de construire. Y a-t-il eu un changement de rôle pour les techniciens de la collectivité ou les élus dans le cadre de ce projet ?
Oui, tout à fait. Un lien très fort s’est créé entre le bureau d’études et le service instructeur des autorisations d’urbanisme. Quand on a pu voir qu’une construction en limite de parcelle pouvait poser des questions de conflit de voisinage, pour des ombres portées par exemple, notre service d’urbanisme s’est posé en expertise, en proposant des solutions alternatives qui pouvaient permettre de mettre un peu d’huile dans les rouages et de faire passer ces dossiers. D’habitude informel, ce rôle devient systématique dans cette démarche BIMBY. Ce lien quasiment de binôme a été très important pour dénouer les situations un peu compliquées qu’on a pu rencontrer en matière règlementaire. La mairie n'aurait pas pu jouer ce rôle de médiations entre riverains et intra-familiale, car elle doit garder un devoir de neutralité.
Il y a aussi eu un travail fait pour animer l’écosystème local pour que tout cela se passe bien, pouvez-vous nous raconter ?
Une fois le permis déposé, l’accompagnement se poursuit. Le bureau d’études est très en lien avec les professionnels locaux de l’acte de bâtir : notaires, géomètres, architectes ou maîtres d’œuvre, mais aussi tout le tissu artisanal local. Cela permet de proposer des ressources pour des porteurs de projets qui sont un peu dans le flou quand ils se retrouvent face à ce type de professionnels. Ils sont désormais accompagnés. On peut, par exemple, analyser des devis d’artisans et avoir un avis d'expert : une ossature bois est-elle plus intéressante pour telle extension qu’une ossature classique en maçonnerie ? Ces questionnements sont toujours avec le souci d’atténuer les nuisances que pourraient avoir les voisins ou une meilleure intégration environnementale des extensions. Même si le bureau d'étude n'a pas le rôle de maître d'oeuvre, on essaie d’outiller les porteurs de projets pour qu’ils puissent poser les bonnes questions aux professionnels, et faire office de médiation.
Tout ça a démarré il y a quatre ans. C’est l’occasion de faire une forme de bilan. Qu’est-ce qu’ont donné ces quatre ans de travaux sur Périgueux ?
Aujourd’hui, on a près de 580 projets imaginés. Pour une bonne moitié d’entre eux, ce sont des dossiers qui ont continué à évoluer, dont certains sont encore en cours d’étude. En termes de réalisation, on a 250 projets validés, c’est-à-dire qui ont fait l’objet chez nous d’une autorisation auprès de notre service d’urbanisme, d’un permis de construire, d’une déclaration au préalable, et d’une déclaration pour une division parcellaire. Dans le détail, on a exactement 112 projets qui ont aboutis, dont 50 logements construits, et 62 en cours de chantier. On a aussi des dossiers d’extension, mais on ne les comptabilise qu’à partir du moment où on considère qu’on a vraiment une offre nouvelle de logement. Si c’est simplement quelqu’un qui vient pour une véranda, c’est un dossier qu’on considère, qu’on comptabilise comme accompagné, mais pas comme une offre nouvelle de logement.
112 projets qui iront au bout quoiqu’il arrive et 50 déjà réalisés. On voit bien que ça prend du temps de faire la ville, mais quatre ans, c’est très court pour ce type de projet. C’est globalement cinq hectares de lotissements en périphérie de Périgueux qui ont été épargnés et qui vont nous permettre de nous nourrir pendant quelques siècles encore. C’est un investissement important en termes d’ingénierie et un vrai choix de la municipalité d’investir sur cette présence, dont on voit bien qu’elle a besoin d’être massive. Est-ce que vous sauriez nous dire comment cela a été vécu, compris, ou pas, à la fois par vous, techniciens, mais aussi les habitants et les élus de la commune ?
Au début, il y a eu beaucoup d’expectatives sur cette expérimentation, c’était quelque chose d’assez nouveau et pas culturellement connu sur nos territoires. Expectative de la part des porteurs de projets, même s’ils ont répondu présents lors de nos premiers entretiens, et de nos élus, malgré tout. On a voulu très vite avoir des données chiffrées et des objectifs quantitatifs à remplir. Expectative aussi auprès des professionnels pour qui la ville de Périgueux n’était plus un territoire ou un marché, car c’était en périphérie que se passait l’extension urbaine. Le travail pour eux ne se passait pas chez nous. Ils s’interrogeaient pas mal sur le devenir de ce type de dispositif. Et puis, la mayonnaise a pris. Au fur et à mesure que les résultats tombaient, l’ensemble de ces acteurs, habitants, élus et professionnels, mais aussi techniciens se sont aperçus de la pertinence de cette démarche. Il reste quand même des questions, notamment sur la volonté de renaturation et de garder des espaces en pleine terre. Mais si on prend un bilan global sur l’urbanisation qui a pu être réalisée en densification douce comparée à une organisation du même type qui aurait été réalisé en périphérie, sur le plan écologique, c’est largement satisfaisant.
Pour celles et ceux qui auraient envie de se lancer, qu’est-ce que vous referiez, quelles sont les erreurs à éviter et quels conseils donneriez-vous ?
Presque tout est à garder dans cette expérience, elle est largement positive, pas seulement par rapport aux chiffres, mais tout le processus et les nouvelles habitudes de travail qui ont pu être mises en place. Auprès des habitants, BIMBY était un concept totalement flou. On se demandait d’ailleurs ce qu’était cet acronyme. Aujourd’hui, c’est devenu dans le langage courant quelque chose qui parle et qui s’est popularisé en un laps de temps court. Ensuite, dans les choses à refaire, je citerais la communication qui nous a bien dépoussiérée et le contact direct avec les habitants. Il y avait en effet des limites à la communication institutionnelle bien rodée qu’on avait avant. C’est pour moi un point fort à mettre en avant pour susciter l’adhésion des habitants, et, derrière, des élus. L’autre point très important sur ce type d’opération, c’est une impulsion politique forte. Si la collectivité n’est pas impliquée, alors qu’il y a un impact en termes de configuration et de fonctionnement interne, comme l’implication du service urbanisme, cela ne peut pas fonctionner. Enfin, je pense qu’il y a un travail encore culturel à faire sur le concept de densification douce, notamment en tissu urbain, et sur cette peur que l’on peut avoir par rapport aux enjeux actuels de renaturation. Il faut montrer qu’il y a un équilibre à rechercher entre densification et maintien d’espaces de verdure.
Il faut s’engager et montrer par des bons exemples que cela marche et que c’est souhaitable. Non seulement, on arrive à le faire, mais c’est bien accepté et c’est positif pour l’ensemble de la communauté. Il faut aussi garder une forte attention à éviter les accidents, car toute erreur de parcours risque de bloquer le système.
Le BIMBY et d’autres méthodes de densification douce ont un potentiel extrêmement important en France pour la création de logements, et pas nécessairement du collectif, mais y compris des maisons dans le périurbain, dans les tissus résidentiels existants. C’est une des clés de l’urbanisme circulaire. On y sera à l’avenir encore attentifs. Merci pour ce partage d’expérience.
Propos recueillis par Sylvain Grisot · dixit.net · Avril 2022
Pour aller plus loin :